La ballade d’un dico heureux

Je puis devenir centenaire,
Disait le petit dictionnaire
Á tous ceux qui le persiflaient
Et le qualifiaient de pauvret.

Maître Pierre a bien senti notre utilité !
Pour concourir plus puissamment à cette idée
Il a voulu qu’un seul, mais imposant ouvrage
Offrît, telle une bibliothèque, moult avantages :
Il créa le Grand Dictionnaire universel...
Moi, je suis né petit mais tout aussi usuel.

Ma clarté est lumineuse,
Mes définitions nettes et minutieuses ;
Pas d’exemples inutiles,
Mais des solutions aux problèmes difficiles !
Mon style n’a rien de savant
Il a, de surcroît, l’art de plaire en instruisant.

Mes lettrines grèges, ventre-de-biche, fuchsia,
Cannelle, cramoisies, caca d’oie ou magenta,
Toutes en teintes chatoyantes,
Vous émerveillent et vous enchantent !
Et les dessins de Millot ou de Christian Lacroix,
Vous laissent ébaubis et pantois !
(fin des juniors)

Cent ans ! Mais toujours à la mode !
C’est que tous les ans, je renvoie aux antipodes
Les vieux mots surannés,
Les patafioler, en-tout-cas, attrapoire, papyracé...
Pour accueillir les nouveau-nés :
Les bambouseraie, encrypter, taïkonaute, kiffer...

Je trône dans les chers pénates,
Tout près des œuvres lauréates
De tous ceux qui se sont complu
Á rechercher les disparus !
Regrettant de ne plus trouver :
Platycerques colorés, dasyures ébouriffés...

Et cette année, une rose est née à mon nom !
Ses fiers pétales d’un rouge profond
Pareil aux dos grenat de mes chers ancêtres.
Eclairent ses folioles dentées, semi-mates.
Et son parfum Rose de Mai
Exhale des notes fruitées.

Oui ! je suis devenu centenaire
Au risque de déplaire
Á tous les zoïles dépassés
Que je hais à jamais !

Et pour départager les ex aequo, il a fallu leur tendre encore quelques pièges :
Savez-vous que la chèvre béguète ? Que cet animal chevrotant donne les plus beaux maroquins et que la Markhor est à l’origine des tissus réputés ?
Vous redoutez son caractère cyclothymique et plus encore l’acide caprylique de son beurre mais vous aimez sa clarine tintinnabulante. Certes, Amalthée vous est connue, vous faites la différence entre le mouflon et l’isard, mais sauriez-vous reconnaître sans faute l’aubère, l’alezane, la rouanne ou la très rare louvette ?
Non ?... Que voulez-vous, n’est pas berger qui veut !